Gareth Jones

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La Liberté  23 Juillet 1933

La Misère en Russie Soviétique 

Le témoignage d’un voyageur anglais  

C’est à l’un des anciens collaborateurs de M. Lloyd George, M. Gareth Jones, que nous devons aujourd’hui une des enquêtes les plus objectives et les plus approfondies sur la situation exacte de la Russie. 

Au cours de ce qu’il appelle lui-même ses longues pérégrinations, M. Gareth Jones a cherché à aller au fond des choses.  Il a visité d’humbles villages, s’est arrêté dans des fermes isolées de la steppe voulant surtout analyser la situation de la population rurale 

Ses conclusions sont simples: 

La politique des Soviets, et en particulier leur plan quinquennal, ont ruiné l’agriculture russe. 

La Russie connaît la famine. Si les villes ont encore du pain, les campagnes meurent de faim. 

Les raisons d’une situation aussi tragique ne doivent pas être cherchées dans des conditions d’exploitation mauvaises du point de vue atmosphérique.  Ce n’est ni le temps, ni la sécheresse, ni les orages, ni la tempête qui sont les facteurs d’une catastrophe imminente. 

Laissons la parole à M. Gareth Jones: 

Les paysans spoliés 

Le premier facteur de la ruine agricole russe, c’est la création des grandes fermes collectives, dans lesquelles la terre est propriété commune et cultivée comme telle.  Cette politique a eu pour résultat de spolier plus des deux tiers des paysans de leur terre et de supprimer en même temps tout motif d’efforts sérieux de leur part.  En outre, l’année dernière, presque toute la récolte fut saisie, ne laissant même pas aux cultivateurs de quoi assurer leur subsistance.  La résistance passive des paysans a été pour la Russie, un facteur plus important, déterminant de la situation économique de la Russie, que l’adresse à cuisiner des statistiques. 

Le massacre du bétail 

En second lieu, le massacre du bétail par les paysans, qui désiraient aucunement abandonner inutilement leur propriété au profit des fermes collectives, la mort des chevaux par manque de fourrage, celle d’innombrable bétail par les intempéries, les épidémies et la faim, et les expériences inconsidérées en vue de la création << d’usines à bestiaux >>, ont tellement dilapidé le cheptel de l’Union soviétique, qu’il est impossible de le rétablir au niveau de 1928 avant l’année 1945.  Et cela, pourvu que tous les plans d’acclimatation du bétail en Russie réussissent, qu’il n’y ait plus de maladies et qu’il y ait du fourrage.  Cette date de 1945 est donnée par un des experts étrangers les plus compétents, actuellement à Moscou. 

Dans tous les villages visités par l’auteur de ces lignes, une grande partie du bétail et des chevaux a été abattue ou est morte par manque de fourrage; les chevaux subsistants étaient tous décharnés et malades.

Les déportations

En troisième lieu, six ou sept millions des meilleurs travailleurs (les koulaks) ont été déportés et dépouillés de leurs terres.  En dehors de tout sentiment humanitaire, l’existence de plusieurs millions de producteurs de valeur est une richesse pour un pays quel qu’il soit, et la suppression d’un tel capital humain est une perte inestimable pour la Russie.  Et bien que, il y a deux ans, les autorités soviétiques aient déclaré avoir liquidé les koulaks en tant que classe sociale, elles se livraient, l’hiver dernier,  à une campagne entreprise avec une violence renouvelée contre les meilleurs paysans. 

La baisse des prix 

La dernière raison de la famine, en U.R.S.S., est l’exportation massive des produits alimentaires.  De cet état de choses, la crise mondiale est plus coupable que le gouvernement soviétique.  La chute des prix des matières premières a été un facteur déterminant de la gravité de la situation russe.  Car, précisément, les matières que la Russie exportait: le blé, le bois, le pétrole, le beurre, matières qui servaient d’échange pour les machines, ont vu leurs prix baisser dans des proportions telles que la Russie a dû augmenter les quantités exportées pour n’avoir quand même qu’une plus faible rentrée. 

Le spectre du chômage 

Il y a plus.  A cette misère des campagnes s’ajoute le chômage grandissant dans les villes car toutes ces difficultés ont conduit a un rapide accroissement du chômage, contrastant avec la pénurie de main-d’œuvre de l’année précédente.  A Kharkov par exemple, 20.000 hommes ont été récemment licenciés.  Le problème du chômage deviendra de plus en plus grave pour l’Union soviétique, provoquant un mécontentement croissant, car les secours de chômage sont inexistants et on supprime même sa carte de pain a l’ouvrier congédié.  

Quelles sont les causes du chômage dans l’Union Soviétique? 

La première est le progrès de la technique.  Un directeur de l’usine de tracteurs de Kharkov avouait :  Nous avons congédié un grand nombre de nos ouvriers à la suite de l’amélioration de notre technique nous permettant de réduire notre main-dœuvre. Cet aveu nous prouve que le chômage, à la suite des progrès techniques, n’est pas confiné aux pays capitalistes. 

La deuxième cause du chômage est le manque de matières premières.  Une usine est parfois obligée d’arrêter ses fabrications par manque de charbon ou de pétrole.  Et la synchronisation du plan est telle qu’un ralentissement dans une usine se répercute dans plusieurs branches de l’industrie. 

La Pravda du 19 mars rapporte les faits suivants, qui jettent une lumière sur les causes de ces retards.  Dans les dépôts de l’aciérie d’Almaznyanski, il y a 13.000 tonnes de métal destinées principalement aux usines de machines agricoles, dont 550 tonnes sont destinées à l’usine de Rostov, 1.500 tonnes à celle de Kharkov et 2.000 tonnes à l’usine a tracteurs de Stalingrad.  Les chemins de fer du Sud n’expédient que 12 à 15 wagons d’acier par jour, au lieu de 35, et certains jours n’en expédient pas du tout. 

La troisième cause du chômage est le manque de vivres.  L’usine est actuellement chargée de nourrir ses ouvriers et, dans ce but, on a attribué un district agricole ou un ensemble de fermes collectives dont elle doit tirer les produits nécessaires.  Un directeur est responsable du ravitaillement de ses ouvriers et, quand il lui manque des vivres, il n’a que la ressource de congédier la main-d’œuvre en excès.  D’après certains experts, c’est là la cause principale du chômage. 

Ces quelques observations de M. Gareth Jones permettent de situer très exactement la situation économique de la Russie.  Est-il excessif de dire qu’elle approche de la catastrophe totale ?


Nous remercions www.ukraine-europe.org pour la correction de cette page. Pour lire leurs articles sur la famine de 1932-1933, cliquez ici SVP?

            Cliquez ICI pour une article par Ukraine Europe de 1/4/03 sur la Campagne pour l'annulation du Prix Pulitzer décerné à Walter Duranty en 1932.

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